Gardoises pendant la guerre

Même si les situations économiques et politiques diffèrent d'un territoire à l'autre, l'exemple des Gardoises met en évidence les conditions de vie des femmes pendant la Grande Guerre dans les zones non occupées.

Source: Delcampe.net.
Source: Delcampe.net.
Femmes au bord de l'Euze  (Uzès) - 1918. Source: Delcampe.net.
Femmes au bord de l'Euze (Uzès) - 1918. Source: Delcampe.net.
Filature de la Maison Rouge à St Jean du Gard. Source: Franceboutis.canalblog.com
Filature de la Maison Rouge à St Jean du Gard. Source: Franceboutis.canalblog.com

Contexte

Avant guerre, le Gard est un département prospère. Il compte 400 000 habitants répartis de manière inégale sur le territoire; la partie cévenole se voit délaisser au profit du bassin minier. Les principales villes sont Nîmes et Alès.

Le Gard bénéficie d'une économie variée:

  • polyculture (vers à soie, vigne, élevages, céréales, sorgho, etc.),
  • industries (7 filatures, 9 compagnies minières, la Compagnie des Salins du Midi, la Source Perrier, la bonneterie et la confection, alimentaire avec l'huilerie, la distillerie, la fabrication de brandade, etc.),
  • cheminots,
  • boutiquiers.

Le Gard est donc un département essentiellement ouvrier et populaire.

Il est également touristique notamment la ville de Nîmes avec ses monuments romains et ses corridas.

Seules

A l'annonce de la guerre, la population gardoise est résignée. Peu de personnes envisageaient un déclenchement immédiat du conflit.

Dans les villages, l'annonce de la mobilisation le 1er août 1914 se fait au son des cloches ou des roulements de tambour. Si les hommes sont surpris ou consternés, les femmes, elles, sont émues; elles pleurent alors que, dans certaines villes, dès fin juillet, des mouvements contre la guerre dans lesquels les femmes sont présentes avaient lieu.

Après le départ des troupes, les femmes se retrouvent seules et doivent s’organiser. Les femmes de mobilisés font valoir leurs droits aux allocations soit 1.25 francs puis 1,50 francs pour une femme et 0,50 centimes par enfant. D'autres se retrouvent sans ressources. «Les départs créent un vide inattendu8

 

 

Au travail

La guerre bouleverse les conditions de vie. Des entreprises se trouvant démunies d'ouvriers vont recruter des femmes; d'autres ferment ce qui engendre des déplacements de population. «Les jeunes filles des Cévennes, à Génolhac par exemple vont ailleurs chercher à s'employer, tentent de se placer comme bonnes ou plus momentanément comme journalières agricoles. Car dans les communes rurales, la demande de main-d’œuvre est forte pour assurer les travaux des champs, les vendanges en premier chef, dès septembre9.»

Dans l'industrie, certaines entreprises comme la bonneterie, la confection ou la filature employaient déjà une main-d’œuvre féminine. D'autres comme le secteur de l'artillerie ou de la poudrerie, où les femmes n'étaient pas présentes, les ont intégrées pendant cette période.

Dans les exploitations agricoles, nombre de femmes participent désormais davantage aux travaux des champs. A la fin de l'été 1914, des femmes mais aussi des enfants s'emploient aux vendanges. Néanmoins, pour les femmes des propriétaires, qui ne sont plus habituées au travail, cela sera difficile de s'y résigner. En parallèle, des garderies sont créées pour les enfants par les instituteurs. Ces derniers, contrairement à d'autres départements, ne seront pas remplacés par des femmes mais par des réfugiés des Ardennes ou  de Belgique.



Soupes populaires, rationnement, inflation

Les municipalités du Gard dont Nîmes, Alès, Anduze ou Beaucaire, pour pallier à cette situation d'urgence de début de conflit, créent les soupes populaires pour les familles les plus modestes. D'autres distribuent des bons de 1 franc ou des bons de blé ou de pain.

 

Viennent s'ajouter à cette situation:

  • des difficultés de ravitaillement. L’état-major réquisitionne les moyens de transports, les blés et les farines,
  • une majoration des produits de premières nécessités (pomme de terre, riz, vin, sucre, viande).

Austérité à la vie frivole et à la légèreté

En période de guerre, on n'imagine pas que la population puisse continuer à se distraire. Le théatre de Nîmes est fermé et devient un dépôt de produits alimentaires. Les arènes ne donnent plus de spectacles dont la traditionnelle corrida des vendanges. Il faudra attendre 1915 pour la réouverture du théatre mais avec un nombre de représentations limitées et excluant les spectacles jugés trop frivoles. Et il faudra attendre 1916 pour que le directeur des arènes puisse être autorisé à donner des spectacles l'été (cinéma, cirque).

 

En parallèle, Nîmes ville de garnison accueille de nouvelles troupes militaires: des coloniales (Sénégalais) puis des étrangères (Américains). Elles sont accueillies avec sympathie et pour les autorités même trop bien accueillies; elles recommandent "de veiller à la vertu des Françaises".


A la grand-Combe, les femmes travaillent à la mine, notamment au chargement des briquettes. 9 juillet 1916. Source: Centenaire.org
A la grand-Combe, les femmes travaillent à la mine, notamment au chargement des briquettes. 9 juillet 1916. Source: Centenaire.org
Au mas de Fontfroide (emprise actuelle du camps des Garrigues). Une femme apporte des denrées alimentaires aux prisonniers de guerre bulgares. Certains lisent des journaux français tels que L'Eclair ou le Méridonial. Octobre 1916. Source: Centenaire.org
Au mas de Fontfroide (emprise actuelle du camps des Garrigues). Une femme apporte des denrées alimentaires aux prisonniers de guerre bulgares. Certains lisent des journaux français tels que L'Eclair ou le Méridonial. Octobre 1916. Source: Centenaire.org
Source: Delcampe.net
Source: Delcampe.net


Accueil des réfugiés et des blessés

L'impact de la guerre à l'arrière, dès l'été 1914, se caractérise par l'arrivée des premiers réfugiés et des blessés. Pour les accueillir, on les loge et il faut organiser l'ouverture d'hôpitaux temporaires dans des écoles et d'anciens locaux ecclésiastiques. Même des particuliers offrent des lits. D'autres offrent leurs services à la Croix-Rouge.

Groupe de convalescents à Saint Jean du Gard.   6 janvier 1915. Source: Collection particulière de M. Brouillet
Groupe de convalescents à Saint Jean du Gard. 6 janvier 1915. Source: Collection particulière de M. Brouillet

Ouvrières grévistes

A partir de l'année 1917, des grèves jusqu'alors impensables, touchent de nombreuses professions en raison de l'augmentation des prix et de la pénurie des denrées alimentaires. Elles sont aussi la conséquence du réveil de l'activité syndicale qui réclame une augmentation des salaires ou une indemnité de cherté de vie, parfois la revendication de "la semaine anglaise".

Les grèves entraînent des milliers de salariés qui touchent les deux sexes. Les ouvrières du textile nîmois sont les premières à se lancer dans le mouvement. Les soirs du 1er et 2 juin 1917, c'est quatre à cinq cents ouvrières et ouvriers qui défilent dans les rues de Nîmes. La plus remarquable des manifestions gardoises sera celle de Saint-Ambroix le 17 novembre avec les cent huit ouvrières de la filature Silhol en grève rejoignant celles de Saint-Brès. Les mouvements se poursuivent jusqu'en 1918: en juillet, par exemple, les grévistes des filatures d'Anduze obtiennent grâce à l'arbitrage du préfet un salaire de 3 francs à minima. Mais les  résultats obtenus sont inégaux.

Veuves de guerre

Comme l'ensemble des départements français, le Gard est touché par les soldats morts pour la France dès le début des batailles.  Les femmes travaillent tout en pensant à la mauvaise nouvelle qu'un télégramme, le maire ou son adjoint pourraient leur apporter: la mort d'un mari, d'un fils, d'un frère, etc. Pire encore: leur disparition et la recherche des circonstances de la mort. Vient à la douleur de ces veuves s'ajouter les problèmes d'héritage et l'entrée dans un monde inconnu pour ces femmes guidées par leur mari.

Et en novembre 1918, si la joie est grande à l'annonce de la victoire, la réalité reprend le pas; il est temps de dresser le bilan humain. Dans le Gard, on dénombre 13837 morts ou disparus.

8 & 9. HUARD, Raymond. A l'arrière du front Le Gard, un département mobilisé 1914-1918. Petite Bibliothèque d'Histoire. Inclinaison, 2011.